Article intégral http://nolyo-tv.com/?page=match&voir=regarder-castres-toulon-streaming&id=4064
.
Comment faut-il appeler les personnes qui meurent par milliers, avalées, englouties dans le ventre de l’Atlantique ou de la Méditerranée ? Comment faut-il appeler ceux qui à Calais rêvent de passer en Angleterre, partis de leur pays pour sauver leur peau ? Et ceux qui sont venus pour une vie meilleure tout simplement ? …/…
.
Chez nos voisins
Ailleurs, le débat sémantique existe aussi. Exemple chez nos voisins britanniques : le gouvernement a demandé à un changement sémantique comme le raconte cet article du Daily Mail, en décembre 2014.
« Ne dites plus “immigrants illégaux” : le gouvernement préfère “entrants clandestins” ou “migrants en situation irrégulière” pour éviter les connotations. »
« “Pour la énième fois, cessez d’appeler des réfugiés des migrants”, s’exclame PMR. “Ces êtres humains ne migrent pas, ils fuient. Les qualifier de migrants en fait des exclus, des aliens, des étrangers indésirables, ce n’est donc pas anodin.”
…/…
Qui utilise encore le mot « clandestin » ?
Comme toujours le choix des mots n’est pas anodin, et il se joue une bataille politique autour de l’emploi de chacun d’entre eux. Tous ne correspondent pas à la même situation juridique (réfugiés/étranger en situation irrégulière, par exemple) et ne projettent pas la même image (migrant/clandestin, par exemple). Il y a donc un sens au glissement de l’un à l’autre.
Ainsi peut-on noter que quasiment plus personne aujourd’hui, dans les médias n’utilise le mot « clandestin » sans l’accoler à « travailleur ». Certes, il existe des exceptions comme cette dépêche AFP qui raconte :
« Marchant pendant des heures, Abdul Rahman Haroun, un clandestin soudanais de 40 ans, était parvenu à parcourir presque entièrement les 50 kilomètres du tunnel sous la Manche pour rejoindre l’Angleterre, avant d’être interpellé. Lundi, il a plaidé “ non coupable ” devant la justice britannique. »
Mais pour une utilisation du mot « clandestin » dans cette dépêche, on en trouve :
- huit de migrants ;
- deux de réfugiés ;
« Clandestin » qu’on utilisait hier sans souci est donc devenu minoritaire et péjoratif, supplanté par « migrants » notamment, souvent pour désigner la même réalité juridique. A Rue89, la dernière occurrence du mot utilisé de manière autonome date de 2014.
« C’est l’histoire d’un clandestin tunisien abattu en plein Paris »
.
Le clandestin, c’est le « migrant » des autres
Aujourd’hui, le « clandestin », semble être surtout le « migrant » des autres. Exemple quand le Figaro parle d’Israël :
« Israël relâche des centaines de clandestins »
Ou quand les Echos parlent d’une promesse de Donald Trump :
« Pas un jour ne passe sans que celui qu’on surnomme “ The Donald ” fasse une nouvelle proposition contre les clandestins. »
Et il n’y a guère que des sites marqués à droite pour se plaindre de cette disparition et lutter contre. Sur le site « Je suis stupide, j’ai voté Hollande », on trouve ce coup de gueule :
« Il n’y a plus de clandestins en France, ni de sans-papiers, il n’y a plus que des migrants ! Ils n’ont donc pas violé nos frontières ou ne sont pas restés illégalement chez nous après l’expiration de leur titre de séjour. Ils ont simplement “ migré ”. »
Des sites de droite ou Thierry Mariani sur Twitter...
.
Pierre Haski ne veut plus entendre dire migrants’
Que cet internaute passe à autre chose ! Car déjà la plupart des militants ne veulent plus du froid ‘migrants’ et mon chef bien-aimé et vénéré, Pierre Haski, non plus, comme il le disait dans cet édito : ‘Réfugiés ou migrants ? L’Europe doit aider les Syriens en fuite.’
‘Quand arrêtera-t-on de qualifier de migrants ’ des hommes, femmes et enfants qui ont le droit d’être considérés comme des ‘ réfugiés ’, fuyant une guerre terrible ?”
…/…
Dire désormais réfugié ou exilé
Ainsi, le Secours catholique écrit sur son site :
“Afghans, Irakiens, Iraniens, Soudanais, Syriens, Kurdes, Érythréens : des hommes, des femmes – et des enfants – transitent ainsi par Calais depuis maintenant vingt ans. L’immense majorité d’entre eux fuient la guerre ou la répression et relèvent d’un besoin de protection internationale : ce sont des réfugiés que la France, le Royaume-Uni et l’ensemble des Etats de l’Union européenne se sont engagés à protéger lorsqu’ils ont signé, en 1951, la Convention de Genève sur les réfugiés [1].”
…/…
Un enfant ne peut pas être un “migrant”
Sur son site, le HCR (Haut commissariat aux réfugiés) évoque lui “la plus forte hausse depuis 22 ans concernant le nombre de demandes d’asile déposées dans les pays industrialisés.”
“Selon le rapport statistique du HCR sur les niveaux et tendances de l’asile en 2014 dans les pays industrialisés, le nombre des nouvelles demandes d’asile déposées dans les pays industrialisés s’élève à 866 000, soit une augmentation de 45% par rapport à 2013 lorsque 596 600 demandes d’asile avaient été enregistrées. Le chiffre de 2014 est le plus élevé depuis 1992, au début du conflit en Bosnie-Herzégovine.”
Tandis qu’un autre communiqué de l’agence des Nations unies soulignait en juin que :
“Plus de la moitié de la population réfugiée est composée d’enfants, une proportion tout à fait alarmante.”
Nous avons désormais tous en tête des images bouleversantes de familles épuisées, d’enfants dans les bras de leurs parents. Comme cette photo dont nous vous parlions récemment et qui est devenue virale.
Ce que dit le glissement de “clandestin” vers “réfugié” ou “exilé”, c’est donc aussi un ressenti, une émotion vive, une prise de conscience collective. Un enfant ne peut pas être un “migrant”. Le regard aussi a changé.