Blog « Journal d’un avocat »
Par Eolas . publié intégralement à cette adresse Source TERRA : http://www.maitre-eolas.fr/m/post/2013/10/20/L-affaire-Leonarda
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La France s’est cette semaine prise de passion pour le droit des étrangers, ce qui ne peut que me réjouir, tant cette discipline est largement ignorée du grand public, ce qui, nous allons le voir, est parfois mis à profit sans la moindre vergogne par nos dirigeants pour se défausser de leurs responsabilités.
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Leonarda est une jeune fille de 15 ans, scolarisée dans le joli département du Doubs, en France-Comté. Elle n’est pas, d’un point de vue juridique l’héroïne de cette affaire, mais plutôt une victime collatérale. Le vrai protagoniste est son père, Resat D….
Resat D… donc est né au début des années 70 (1973-1974 semble-t-il) au Kosovo, dans une famille Rrom.
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Kosovo, terre de contraste et d’aventures
Le Kosovo est un territoire de la taille d’un département français, qui affecte en gros la forme d’un losange de 100 km de côté. Situé à la pointe sud de la Serbie, il est l’alpha et l’oméga de la guerre, ou plutôt des guerres qui ont déchiqueté la Yougoslavie dans les années 90. …/…
Le symbole de cette partition est la ville de Mitrovica (prononcer Mitrovitsa), coupée en 2 par un pont qui n’est pas vraiment celui de la concorde. Au nord, les Serbes du Kosovo, qui outre Mitrovica sont dans les villes de Zveçan, Zubin Potok et Leposavić, et refusent encore et toujours l’indépendance (ils boycottent les élections et la participation y est nulle), et au sud, les Albanais. Au milieu coule l’Ibar, et la haine. À Mitrovica, les voitures n’ont pas de plaques d’immatriculation, pour ne pas se faire caillasser par ceux de l’autre côté. Et entre ces deux communautés qui se haïssent, Albanais et Serbes, les Rroms. Ils sont haïs par les Albanais, qui ne leur pardonnent pas d’avoir été du côté des troupes serbes lors de la guerre (ils ont été victimes de pogroms pendant la guerre), et méprisés par les Serbes, qui se replient sur leur communauté et les rejettent comme des éléments extérieurs, d’autant plus qu’au Kosovo, ils sont majoritairement musulmans. Que ce soit clair : les discriminations vécues au quotidien par les Rroms au Kosovo sont certaines et avérées. Mais elles ne sont pas suffisantes pour fonder une demande d’asile sans faits précis et personnels. On va y revenir. Et c’est là que se retrouve aujourd’hui Resat D… et ses enfants, qui découvrent à cette occasion le Kosovo, terre de contrastes et d’aventure.
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Aujourd’hui, le Kosovo est le 145e pays au monde en PIB/habitant, 45% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 17% en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Malgré son statut de paradis fiscal : tranche d’imposition la plus élevée : 10% ; impôt sur les sociétés : 10%. Et la monnaie est l’euro. Comme quoi.
Donc notre ami Resat est né au Kosovo à l’époque de l’ex-Yougoslavie. Cela semble à peu-près établi. Il en est parti, ce point est certain. C’est après que ça se gâte. Toujours est-il qu’en janvier 2009, il est heureux en ménage et arrive en France avec 5 enfants ; un 6e viendra égayer encore cette famille par la suite. Peu de temps après son arrivée en France, il a présenté une demande d’asile en même temps que sa compagne.
L’asile, procédure de contrastes et d’aventures
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Pendant l’examen de sa demande, le demandeur d’asile a un droit au séjour, une couverture maladie, et pas le droit de travailler. Ce droit lui a été retiré par une loi de 1991. Déjà pour lutter contre la fraude et le chômage. J’en ris encore. À la place, le demandeur perçoit une allocation temporaire d’attente, qui lui est supprimée s’il est logé dans un centre d’accueil des étrangers (CADA). Oui. La solution trouvée par le gouvernement Rocard a été d’interdire à des travailleurs aptes de travailler, de les contraindre à l’oisiveté, et de leur verser une allocation. L’idée a dû sembler excellente car personne n’est revenu dessus. Et au passage, on peste sur ces étrangers venus ne rien faire et toucher des allocs. Ubuesque.
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Revenons-en à notre ami Resat.
Arrivé en France, il présente une demande d’asile. Rrom Kosovar, il y a gros à parier que son récit prétendait qu’il habitait le Kosovo quand la guerre a éclaté en 1998. Les Rroms qui arrivent à établir qu’ils étaient au Kosovo en 1998-1999, et tout particulièrement à Mitrovica d’ailleurs, et l’ont fui à ce moment se voient en règle générale accorder l’asile. Leur retour au Kosovo est inenvisageable : ils sont vus comme des collaborateurs des Serbes, leur maison a été détruite ou saisie et les rancœurs sont encore vives. L’info a circulé, mais les OP connaissent très bien la situation au Kosovo et l’historique de la guerre. L’Office n’a pas été convaincue par le récit de Resat, et on sait à présent, de l’aveu du principal intéressé, que c’était à raison. Sa demande est donc rejetée. Il saisit la CNDA d’un recours, examiné en audience publique où il peut s’expliquer devant 3 conseillers, probablement assisté d’un avocat. Le rejet est confirmé. Il va demander un réexamen, qui sera rejeté par l’OFPRA, les faits nouveaux qu’il invoquait étant soit pas vraiment nouveaux, soit pas vraiment établis. La CNDA ne semble pas avoir été saisie d’un recours contre ce rejet.
Une fois la première demande rejetée définitivement, le demandeur d’asile devient étranger de droit commun.
Être étranger en France, vie de contrastes et d’aventure.
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Le contentieux administratif, contentieux de contrastes et d’aventures.
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Les circulaires, droit de contrastes et d’aventure.
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Une conclusion riche en contrastes et en aventure
La conclusion du rapport de l’IGA est que la loi a parfaitement été respectée, et c’est une antienne qui a été souvent reprise. Et je reconnais volontiers que rien de ce que j’ai pu lire sur cette affaire ne m’a laissé penser qu’une illégalité avait été commise. Mais, car il y a un mais, on l’a vu, la loi dit que l’administration peut faire largement ce qu’elle veut, hormis quelques cas restreints. Dans ces conditions, c’est plutôt difficile de violer la loi. En outre, le rapport omet de se poser une question, qui ne figurait certes pas dans la lettre de mission : toute la procédure de reconduite s’est fondée sur les déclarations de Resat D… : il dit qu’il est kosovar ainsi que sa famille, renvoyons-le au Kosovo. Sauf que la procédure de reconduite résulte d’une décision de refus de séjour qui repose entre autres sur les mensonges de Resat D… Personne ne s’est dit que les seules déclarations de l’intéressé étaient une base un peu légère pour décider d’envoyer sans vérifications 8 personnes dont 6 mineures dans le coin le plus paumé de l’Europe (mais qui a la vertu; étant dépourvu de tout état civil, d’accepter toute personne qu’on lui envoie en disant qu’il est kosovar) ?
En ce qui concerne Leonarda, il est faux de dire que la loi a été respectée puisque son sort n’a jamais été examiné dans cette affaire. Elle est une victime collatérale de l’expulsion de son père, mais n’était pas en situation irrégulière en France et n’a violé aucune loi.
De même qu’il est incorrect d’invoquer l’autorité des décisions de justice, aucun juge n’ayant décidé ni du refus de séjour ni de la procédure de reconduite, ni de ses modalités. Tout ce qu’a dit la justice est que Resat D… n’a pas démontré l’illégalité de ces décisions. Ni plus ni moins. Et l’administration était libre de prendre, en toute légalité, la décision d’accorder une autorisation de séjour à la famille D… C’est un choix de l’État, pris par son représentant, le préfet : qu’il l’assume.
Un mot sur l’affaire elle-même, sur le phénomène médiatique qu’elle est devenue. La question des enfants scolarisés doit être prise à bras-le-corps et tranchée courageusement. Soit on ne veut plus les expulser, et je n’aurais rien contre, et dans ce cas il faut fixer les conditions de régularisation de leur famille. Soit on ne le veut pas et on assume les interpellations devant les caméras. Le faire honteusement, en catimini, en serrant les fesses pour que ça ne se sache pas est le signe d’une mauvaise solution. Car des Leonarda, il y en a des centaines.
L’exécutif a été ridicule dans cette affaire et je ne vois pas comment il aurait pu plus mal la gérer. Mais ce qui me choque le plus est de voir une jeune fille de 15 ans livrée en pâture médiatique, sans la moindre protection car sa famille n’a aucune expérience en la matière et ne réalise pas ce qui se passe. Ce que j’ai vu ces derniers jours est monstrueux, il n’y a pas d’autre mot : demander à une jeune fille de 15 ans de réagir en direct et à chaud, dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, à une proposition aberrante formulée par le président de la République en personne, qui interpelle une mineure pour lui faire une proposition alors que la loi française dit que seuls ses parents peuvent faire un tel choix, faire de ses moindres mots dits sous le coup de l’énervement une déclaration officielle, lui jeter à la figure un sondage disant que deux tiers des Français (soit 40 millions de personnes) ne veulent pas de son retour (en oubliant de dire que 99,8% des Français ne connaissaient rien à ce dossier ni au droit applicable), est-ce donc cela que nous sommes devenus ? Avons-nous perdu toute décence pour faire ainsi de la maltraitance sur mineur en direct ?
Ah, un dernier mot, ou plutôt un dernier chiffre. Le coût moyen d’une reconduite la frontière a été estimé en 2008, par un rapport de sénateur UMP Pierre Bernard-Reymond, à 20 970 euros par personne. Cette affaire a mobilisé, lisez le rapport de l’IGA, tout un aréopage d’agents publics, de policiers et de gendarmes, et a dû coûter aux finances publiques plusieurs dizaines de milliers euros (je dirais au moins 50 000 euros). Le budget annuel consacré aux reconduites à la frontière est sensiblement identique à celui de l’aide juridictionnelle : un peu plus de 400 millions d’euros.
Détruire la vie de jeunes filles est un luxe qu’on ne peut plus se permettre.
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Source TERRA : http://www.maitre-eolas.fr/m/post/2013/10/20/L-affaire-Leonarda