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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 05:43
Administration : la lutte continue
Alexis Spire
Chercheur, CNRS-Ceraps
> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article2539


En principe, l’administration est là pour appliquer les politiques décidées par le gouvernement. Celle chargée de l’immigration va souvent plus loin dans la logique répressive. Mais même dans les périodes d’emballement xénophobe, cette administration n’est jamais totalement homogène : elle est traversée par des contradictions qui se manifestent par des formes discrètes de résistance. Il reste aux associations à savoir les utiliser.

L’administration, voilà l’ennemie. Les associations qui accompagnent les étrangers dans leurs démarches ont spontanément tendance à considérer les agents chargés d’appliquer les lois encadrant l’entrée et le séjour en France, au mieux comme des auxiliaires dociles de la politique dite de « maîtrise des flux migratoires », sinon comme des adversaires déclarés des étrangers. Refus d’accès aux guichets, pratiques illégales, règne de l’arbitraire… Les raisons d’entretenir la méfiance à l’égard de celles et ceux qui contrôlent les étrangers ne manquent pas. Pourtant, l’administration n’a jamais été un bloc de granit homogène : elle est traversée par des logiques politiques, bureaucratiques et sociales qui ne sont pas nécessairement en parfaite adéquation avec les volontés du pouvoir exécutif. De plus, l’imprécision des critères contenus dans les textes de loi laisse une grande marge d’interprétation à celles et ceux qui les appliquent. L’administration doit aussi composer avec des institutions qui lui sont extérieures comme les représentations diplomatiques des pays d’émigration ou encore les associations et collectifs qui luttent aux côtés des étrangers.

Pour montrer ces tensions, on a choisi de revenir sur trois périodes au cours desquelles, les pouvoirs publics, sous couvert de répondre aux inquiétudes de l’opinion, ont démultiplié les lois et règlements visant à criminaliser l’immigration : à la fin de l’entre-deux-guerres, lorsque sous les effets conjugués de la crise économique, de l’afflux de réfugiés et de l’enracinement de la population étrangère, le gouvernement adopte les décrets-lois de 1938, systématisant la police des étrangers et leur internement à grande échelle
 [1] ; dans les années 1970, lorsque le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing envisage une politique de retours forcés visant des centaines de milliers de Maghrébins – principalement Algériens – qui résident alors en France ; la troisième période, plus récente, s’ouvre en 2003, lorsque Nicolas Sarkozy, d’abord comme ministre de l’intérieur puis comme président de la République, impose aux préfets des objectifs chiffrés en matière d’éloignement au détriment de toute autre considération.  

(...)

> La suite de l'article est à l'adresse


Cet article est extrait du n° 91 de la revue Plein droit  (décembre 2011),
  « Les bureaux de l’immigration »
http://www.gisti.org/spip.php?article2489
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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 06:02

« Il n’est plus possible de maintenir les migrations dans un prisme sécuritaire et de fermer les yeux sur les apports, réels et prouvés des migrants dans les communautés et pays à la fois d’accueil et d’origine. »
« Selon l’Organisation Internationale des Migrations, les 25 pays les plus riches dépenserait au total entre 25 à 30 milliards de dollars par an pour le contrôle de leurs frontières et la gestion des migrations. 30 milliards est pourtant la somme qui manque aux fonds mondiaux du développement pour permettre la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement – soulignent à très juste titre Pécoud et Guchteneire. On ne peut donc plus tolérer des coûts prohibitifs pour des politiques qui, loin de stopper les flux migratoires, détournent ces derniers vers des voies de plus en plus dangereuses et meurtrières et augmentent les réseaux de passeurs et de traite des êtres humains. »
« Il est clair qu’en termes de sécurité et de protection sociale, en termes de démocratie, de représentation et de citoyenneté, la libre circulation des hommes impose de repenser un système politique et social défié. »

 

Migrations : Et si on envisageait la libre circulation mondiale des personnes ?
[dimanche 18 décembre 2011 - 18:00]

 

migrations.jpgLa libre circulation des personnes présente aujourd’hui un bilan en demi-teinte. Si l’Union Européenne a réussi à mettre sur un pied d’égalité les hommes et les marchandises, en attribuant aux deux la faculté de se déplacer par delà les frontières administratives de chaque pays, il n’en est pas de même, loin de là, à l’échelle mondiale. Le paradoxe est pourtant net : alors que l’époque est à la libre –circulation des biens et des capitaux, aux accords régionaux de libre-échange, envisager la libre circulation des personnes reste le fait de discours associatifs, loin de la sphère politicienne. Si le scénario d’une libre circulation des personnes fait souvent sourire par son apparente invraisemblance, il n’en demeure pas moins un sujet qui anime aujourd’hui militants et chercheurs.


Un scénario de plus en plus discuté

Deux livres ont récemment posé la question de la faisabilité d’un tel scénario. En 2007, Antoine Pécoud et Antoine de Guchteneire publiaient Migrations Sans Frontières : Essai sur la libre circulation des personnes, aux Édition de l’Unesco; le Gisti, groupe de soutien et d’information auprès des migrants, sortait de leur côté en 2011 Liberté de circulation : un droit, quelles politiques ? dans leur collection Penser l’immigration autrement. Les deux ouvrages adoptent une approche pluridisciplinaire qui permet, sinon une faisabilité du scénario, au moins un espace où économistes, juristes, politistes, sociologues, envisagent et discutent un monde ouvert aux flux humains.

 

Deux points majeurs sont à retenir :

(a) Les migrations sont de moins en moins contrôlables – si tant est qu’elles l’aient été un jour. D’une part, les diasporas et réseaux de migrants dans les pays de destination perpétuent des flux de façon inaltérable ; d’autre part, les politiques d’immigration vont à l’encontre des valeurs fondatrices des démocraties libérales : un marché ouvert et le respect des droits de l’homme. Ainsi la gestion actuelle des migrations menace d’effritement nos systèmes de valeurs.
(b) Un monde ouvert aux migrations mondiales, consenties et approuvées à l’échelle nationale, pose des défis économiques, sociaux et politiques qui devront être discutés à l’échelle internationale. Le besoin de régulation des flux de marchandises et capitaux a permis une institutionnalisation progressive de ces questions. Il doit en être de même pour les migrations.

Vers une plus grande cohérence du respect des droits fondamentaux

Si le droit à la mobilité est extrêmement ambigu en droit international des droits de l’homme, il n’en demeure pas moins que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 affirme: " 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. " L’article 13 proclame donc un droit universel à quitter son pays, reconnaissant alors le droit à l’émigration – sans mentionner un droit à l’immigration. C’est de ce paradoxe que débute la réflexion de Pécoud et Guchteneire sur un scénario " migrations sans frontière " qui reconnaitrait à la fois l’émigration et l’immigration comme droits fondamentaux. Le droit à la mobilité trouverait donc un aboutissement réel.

Or, la liberté de mobilité faciliterait l’accès à d’autres droits fondamentaux comme le droit au libre choix de son travail (article 23), le droit à son choix de lieu de résidence (article 13), le droit à un niveau de vie suffisant (article 25). En effet, ces droits et besoins entrainent très fréquemment, au nord comme au sud, la nécessité de migrer, de trouver d’autres opportunités ailleurs. Or, ce privilège ne semble réservé qu’aux pays riches qui allègrement et sans contrainte - hormis celle de se faire faire un visa, qui reste dans de nombreux cas une simple formalité - peuvent envisager leur établissement en tout point du globe.

Les obstacles à la mobilité posent donc un vrai défi en termes d’équité et d’universalisme des droits de l’homme. C’est ce besoin de revenir à l’indivisibilité et l’inaliénabilité de ces droits fondamentaux qui semble fonder l’ouvrage publié en 2010 par l’association Emmaüs. Visa pour le Monde cherche avant tout à mettre en avant l’aspect humain des migrations qu’oublient des politiques d’immigration discriminantes, illégales et à l’encontre de tout principe de solidarité.

 

Et maintenant ?

Replacer l’Homme avant tout
Limiter les mouvements de personnes alors que les capitaux circulent sans aucune restriction n’est plus acceptable. Il faut revenir à un système où l’humain prime sur les biens et les marchés. Les liens établis entre migration et développement soulignent à quel point la migration doit être considérée par les gouvernements comme un outil du développement économique et social, comme un levier pour l’amélioration globale du sort de l’humanité. Sans lyrisme ni utopisme excessif, il n’est plus possible de maintenir les migrations dans un prisme sécuritaire et de fermer les yeux sur les apports, réels et prouvés des migrants dans les communautés et pays à la fois d’accueil et d’origine.

Reconsidérer le coût du contrôle des migrations
Le coût, à la fois économique et humain, des politiques de contrôle des migrations - érection de murs des États Unis à l’Inde en passant par l’Arabie Saoudite, instruments technologiques de contrôle de plus en plus pointus, rapatriements, rétentions –est colossale. Selon l’Organisation Internationale des Migrations, les 25 pays les plus riches dépenserait au total entre 25 à 30 milliards de dollars par an pour le contrôle de leurs frontières et la gestion des migrations. 30 milliards est pourtant la somme qui manque aux fonds mondiaux du développement pour permettre la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement – soulignent à très juste titre Pécoud et Guchteneire. On ne peut donc plus tolérer des coûts prohibitifs pour des politiques qui, loin de stopper les flux migratoires, détournent ces derniers vers des voies de plus en plus dangereuses et meurtrières et augmentent les réseaux de passeurs et de traite des êtres humains.

Repenser la démocratie et l’Etat Providence
C’est un défi pour le monde de la recherche. Quels systèmes devraient adopter les États pour accorder des droits non discriminatoires aux personnes résidants sur son territoire ? L’ouverture des flux pose des questions auxquelles il est encore impossible de répondre - et il ne le sera peut être jamais, tant il est sociologiquement difficile de prévoir des comportements humains. Toutefois, il est clair qu’en termes de sécurité et de protection sociale, en termes de démocratie, de représentation et de citoyenneté, la libre circulation des hommes impose de repenser un système politique et social défié.

 

Placer cette question sur l’agenda international

Le besoin d’une coopération internationale accrue en matière de migration semble donc de plus en plus évident. Il faut lever le voile sur ce débat, déconstruire les préjugés, trouver une plateforme de discussion, organiser une rencontre internationale sur ce thème. Personne n’imaginait il ya quelques décennies que l’espace Schengen permettrait une libre circulation entre près de 25 pays européens. Il faut donc aujourd’hui comme hier voir plus loin, et être plus ambitieux.

A travers une Assemblée de Convergence pour l’Action, rassemblant associations de migrants, associations de solidarité et d’entraide - comme Emmaüs, Visa pour le monde, Caritas ou La Cimade, des instruments comme la Charte Mondial des Migrants et le Passeport de Citoyenneté Universelle ont été proposés au Forum Social Mondial 2011 de Dakar 1. Si ces instruments demeurent pour certains plus symboliques que vraisemblables, ils ont le mérite d’apporter certaines réponses pratiques aux défis que poseraient des " migrations sans frontières ".

Quoi qu’il advienne à terme de ce scénario, la tenue d’une conférence internationale sur la libre circulation, réclamée à Dakar, doit être envisagée. Le Forum Social Mondial 2012 offrira peut être à nouveau une tribune pour les défenseurs des mobilités humaines. Mais, le débat doit maintenant trouver sa place à l’échelle intergouvernementale car rien ne pourra être atteint sans un consensus politique international, ou du moins régional. Pecoud et Guchteneire ont bien souligné la nouveauté de cette " mondialisation des préoccupations relatives aux migrants ". Celle-ci doit donc nous conduire à une révision profonde d’un système de gestion international des migrations, aujourd’hui quasi inexistant.



rédacteur : Pauline BRÜCKER ,
Illustration : copyright Beaujeant

Notes :
1 - Voir Discours de l’Assemblée de Convergence pour l’Action, 11 Février 2011, Forum Social Mondial 2011, Dakar

 

Source TERRA : http://www.nonfiction.fr/article-5309-migrations__et_si_on_envisageait__la_libre_circulation_mondiale_des_personnes_.htm

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16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 05:40

Publié le 09/12/2011 sur SLATE.FR

http://www.slate.fr/story/47283/bangladesh-pays-sur-asile-gueant-ofpra

 

C’est en tout cas ce que prétend Claude Guéant. Ce qui est plutôt une mauvaise nouvelle pour les ressortissants de ce pays, désormais ajouté à la liste des nations pour lesquelles les procédures de demande d’asile sont plus difficiles.

 

«Ni la misère ni la nature vengeresse qui dévastait leur pays ne pourraient justifier leur exil, leur fol espoir de survie. Aucune loi ne leur permettrait d’entrer ici dans ce pays d’Europe s’ils n’évoquaient des raisons politiques, ou encore, religieuses, s’ils ne démontraient de graves séquelles de dues aux persécutions.»

 

Dans son roman Assommons les pauvres!, paru lors de la dernière rentrée littéraire, Shumona Sinha décrit toute l’ambiguïté de la situation de nombreux demandeurs d’asile, à la recherche de conditions de vie meilleures et contraints de se faire passer pour des opposants politiques pour espérer être régularisés.

Le genre de prose qui ne déplairait pas à Claude Guéant…

En déplacement à Montauban le 25 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur s’est alarmé de la hausse du nombre de dossiers déposés (47.686 en 2009, 52.762 en 2010 et 60.000 en 2011).

«Une partie très importante de la demande d’asile n’est plus déterminée par les risques que les demandeurs sont susceptibles d’encourir dans leur pays», a-t-il déclaré.

Pour faire face à ce qu’il décrit comme «une explosion», il a annoncé une série de mesures, parmi lesquelles l’élargissement de la liste des pays considérés comme «sûrs» par l’administration française.

Elle passe de 16 à 20 pays, incluant désormais le Bangladesh, l’Arménie, la Moldavie et le Monténégro.

Cette décision a été entérinée vendredi 2 décembre par un vote du conseil d’administration de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), l’organisme chargé d’examiner les demandes d’asile.

Pour les ressortissants de ces pays, la procédure deviendra soudainement bien plus difficile. Le cas du Bangladesh, première nationalité d’origine des demandeurs d’asile en France en 2011, est particulièrement emblématique.

S’agit-il, comme le prétend Claude Guéant, d’un «pays sûr»?

Le Bangladesh, une démocratie?

D’après la loi du 10 décembre 2003, un pays est considéré comme sûr «s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales».

Selon le ministre de l’Intérieur, ce serait donc le cas du Bangladesh.

«Il s’agit cette année de la première nationalité de demande d’asile, alors que la situation du pays a évolué et ne le justifie pas. Un rapport récent de l’Ofpra, qui a dépêché une mission d’observation sur place, me l’indique», argue-t-il. Vraiment?

 

bangladesh.jpgLe rapport en question, publié en avril 2011 et disponible sur le site de l’Ofpra, est pourtant bien moins affirmatif.

Il évoque certes «une démocratisation fragile et incertaine» –les élections de décembre 2008 ont été les plus libres que le pays ait connues– mais il pointe également un certain nombre de pratiques peu compatibles avec le fonctionnement d’une démocratie…

Ainsi ses auteurs soulignent-ils la «corruption récurrente qui affecte le fonctionnement des institutions administratives et judiciaires», citant pour exemple l’expulsion de son domicile de la dirigeante de l’opposition en novembre 2010, l’ex-Premier ministre Khaleda Zia.

Ils s’alarment aussi du détournement des procédures judiciaires, jugeant que «la multiplication des affaires fallacieuses s’inscrit dans une stratégie de pressions sur les membres de l’opposition ou d’expropriations foncières déguisées visant les plus pauvres».

Enfin, ils pointent les violences ponctuelles dont souffrent les minorités religieuses ou ethniques (notamment les Jumma), la faiblesse des contre-pouvoirs, l’encadrement de la presse («arrestations, interdictions de diffuser, à caractère purement politique»)…

Autant d’éléments extrêmement rassurants qui ont conduit le ministère de l’Intérieur puis l’Ofpra à considérer le Bangladesh comme un «pays d’origine sûr»…

Quelles conséquences pour les demandeurs d’asile?

Ce changement de statut est loin d’être anodin. Les demandeurs d’asile bangladais, tout comme ceux des 19 autres pays de la liste, seront désormais privés de titre provisoire de séjour pendant l’examen de leur dossier. Ils n’auront plus accès aux centres d’accueil.

Enfin, en cas de rejet de leur demande d’asile par l’Ofpra, ils pourront toujours déposer un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)... mais ils pourront être expulsés avant même que celui-ci ne soit examiné!

Cette dernière mesure pourrait faire fortement diminuer le nombre de dossiers bangladais acceptés. En effet, si l’Ofpra a pour habitude de rejeter la plupart des demandes venant de ce pays (le taux d’admission a varié entre 1% et 5% dans les années 2000), la CNDA est bien plus conciliante: 86% des 2.236 demandes d’asile bangladaises accordées entre 2001 et 2010 sont le fait de la Cour, d’après le rapport annuel de l’Ofpra.

«Il y a plus de liberté à la cour nationale, l’examen individuel y est plus attentif», juge Patrick Delouvin, directeur du pôle Europe d’Amnesty International.

Dommage pour les demandeurs d’asile bangladais: si l’administration française ne leur laisse plus le temps de passer devant la CNDA, ils perdent de fait presque toute chance de voir leur requête aboutir…

Les enjeux: restreindre l’immigration légale… et faire des économies

L’objectif du ministère de l’Intérieur est simple: faire diminuer le nombre de demandes d’asile.

Faut-il s’étonner de retrouver parmi les pays soudainement devenus sûrs le Bangladesh (+122% de dossiers déposés en 2010 par rapport à l’année précédente) et l’Arménie (troisième nation d’origine des demandeurs d’asile en 2011)? Ne manque plus que le numéro 2 du classement, la République démocratique du Congo…

Cet élargissement de la liste des pays d’origine sûrs s’inscrit dans une réforme plus large du droit d’asile, dont le ministre de l’Intérieur veut réduire le budget (523 millions d'euros en 2011). Il y a peu de chances que cela se traduise par un examen plus individualisé des demandes…

Cette annonce intervient quelques mois après la parution de la très décriée circulaire Guéant, qui a durci les conditions selon lesquelles les étudiants étrangers peuvent travailler en France, et marque une nouvelle étape dans la politique de restriction de l’immigration légale mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur.

Vers une nouvelle annulation par le Conseil d’Etat?

La cause n’est toutefois pas encore définitivement perdue pour les ressortissants des quatre nations ajoutées à la liste. En effet, certains élargissements précédents ont donné lieu à des annulations par le Conseil d’Etat, en février 2008 (l’Albanie et le Niger) et en juillet 2010 (l’Arménie –déjà–, Madagascar, la Turquie et le Mali, pour les femmes).

Reste à savoir si les associations telles Amnesty International, qui avaient sollicité le conseil d’Etat par le passé, feront la même démarche cette fois-ci: «C’est tout à fait possible, explique Patrick Delouvin, mais vous savez, c’est beaucoup de boulot!»

 

Stéphane Loignon  http://www.slate.fr/story/47283/bangladesh-pays-sur-asile-gueant-ofpra

 

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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 05:14

En affirmant que la France accueille 200.000 immigrés par an, «l'équivalent d'une ville comme Rennes», le ministre de l'intérieur oublie de parler de ceux qui partent, rappelle Aurélie Windels, membre du collectif Cette France-là. Alors que le solde migratoire est en réalité minime.
l'Ined arrive à un constat sans appel: le renforcement constant des politiques européennes de fermeture des frontières freine davantage les départs que les arrivées. 
Non content de reprendre les formules de Marine Le Pen, Claude Guéant s'en attribue également les idées. Déterminé à ancrer dans la tête des électeurs qu'il y a trop d'immigrés en France et que ceux-ci sont à l'origine de tous leurs maux, il n'hésite pas à adapter les chiffres de manière à appuyer le plus sûrement possible sa thèse. Mais, au même titre que sa politique de durcissement des conditions de circulation a des effets pervers sur le nombre d'étrangers en France et leur durée de séjour, son glissement sans limite à droite rapportera bien moins sûrement des votes à son parti qu'à celui qu'il se plaît à imiter.

Les mauvais calculs de Claude Guéant

07 Décembre 2011 Par Les invités de Mediapart

Edition : Immigration: la contre-expertise

 

En affirmant que la France accueille 200.000 immigrés par an, «l'équivalent d'une ville comme Rennes», le ministre de l'intérieur oublie de parler de ceux qui partent, rappelle Aurélie Windels, membre du collectif Cette France-là. Alors que le solde migratoire est en réalité minime.

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Grâce à Marine Le Pen et Claude Guéant, tout le monde sait maintenant que Rennes compte environ 200.000 habitants. A l'instar de la présidente du FN, le ministre de l'intérieur utilise lui aussi la onzième plus grande ville de l'Hexagone pour frapper les Français d'une image: celle de la masse d'immigrés légaux qui arrivent chaque année sur notre territoire. «Nous acceptons sur notre sol, chaque année, 200.000 étrangers en situation régulière. C'est l'équivalent d'une ville comme Rennes, c'est deux fois Perpignan. (...) Je dis que c'est trop», expliquait-il dimanche 27 novembre à JP Elkabbach qui lui demandait s'il n'était pas préférable «d'accepter une France métissée plutôt qu'une France monocolore». Pour une donnée démographique exacte –il y a bien 206.194 habitants à Rennes–, celle à  laquelle elle est comparée est bien plus contestable.

 

En effet, tout comme il serait absurde d'évaluer la croissance démographique annuelle d'un pays en ne comptabilisant que les naissances, il ne suffit pas de raisonner en termes d'entrées pour jauger l'évolution de la population immigrée «sur notre sol». Le nombre des étrangers qui entrent en France chaque année doit être rapporté à celui des sortants –non seulement les Français qui s'expatrient, mais également les migrants qui vont s'installer dans un pays tiers ou qui rentrent dans leur pays d'origine. Ces derniers, bien que le ministre ait toujours omis de les mentionner, existent bel et bien, et ils sont nombreux. Ainsi, l'Insee estime que le solde migratoire annuel est d'environ 100.000 personnes. De Rennes, nous voilà passés à Nancy.

 

La mise sous silence des départs

Hervé Le Bras, directeur de recherches à l'Ined, considère toutefois que l'estimation de l'Insee n'est guère fiable, dans la mesure où, en France, «on n'a aucun moyen de calculer les sorties». Tandis que le volume des entrées légales est d'ordinaire mesuré par le nombre des titres de séjour délivrés au cours de l'année, celui des départs ne fait l'objet d'aucune enquête officielle. Il est estimé à partir des données disponibles, à savoir les naissances, les décès et les nouveaux immigrés autorisés à séjourner sur le territoire français, mais selon Hervé Le Bras, sa sous-estimation ne fait aucun doute. «Il y a des insuffisances de la statistique française qui, souvent, nous amènent vers de faux débats, déplore le démographe. Bien sûr, comme on présente en permanence les entrées et jamais les sorties, on a une sorte d'impression que ça s'accumule, mais ce n'est pas le cas» (1).

Dans le cadre de ses recherches, en utilisant les informations fournies par les recensements, Hervé Le Bras a pu calculer que cinq ans après la délivrance de leur premier titre de séjour, seuls 60% des immigrés sont encore présents sur le territoire français. Mais également que l'immigration nette en France serait de l'ordre de 52.000 personnes par an, si ce n'est  beaucoup moins, comme il l'explique dans une tribune publiée en 2008 et intitulée En France, le solde migratoire est en réalité quasiment nul. De Nancy, nous descendons donc à Fréjus, voire à Palavas-les-Flots.

 

Une migration de plus en plus circulatoire

Le travail du démographe Cris Beauchemin, spécialiste des migrations entre l'Afrique subsaharienne et l'Europe, confirme celui d'Hervé Le Bras. En étudiant le parcours des immigrés sénégalais, il a pu observer que, au bout de 10 ans, un tiers de ceux qui étaient partis dans un pays du «Nord» sont rentrés au Sénégal.

Les chercheurs s'accordent à dire qu'au fil des décennies, le mode de migration aurait tendance à changer: bien souvent définitive auparavant, l'immigration devient de plus en plus circulatoire. La qualification croissante des migrants y est pour beaucoup. En France, par exemple, la part des immigrés diplômés de l'enseignement supérieur est passée, entre 1990 et 2007, de 12% à 25%, selon les chiffres de l'Insee. Elle a ainsi rejoint celle des natifs (29% en 2007). Ces migrants, à la recherche d'opportunités professionnelles, bougent plus facilement de pays en pays, s'établissant là où leurs compétences sont le mieux appréciées.

Seulement, cette tendance naturelle à une plus grande circulation migratoire est mise à mal par les politiques migratoires mises en place dans les pays de destination. En effet, l'Ined arrive à un constat sans appel: le renforcement constant des politiques européennes de fermeture des frontières freine davantage les départs que les arrivées. Autrement dit, les migrants rentrent d'autant plus facilement dans leur pays d'origine qu'ils peuvent circuler librement. Les démographes ont fait apparaître qu'en France et dans les pays voisins, les migrations spontanées des étrangers regagnant leur pays étaient beaucoup plus nombreuses et plus rapides avant 2002 qu'aujourd'hui.

Ce constat non seulement relativise l'idée selon laquelle les immigrés ne partiraient qu'à conditions d'y être forcés –les seuls départs scrupuleusement chiffrés sont ceux des étrangers reconduits à la frontière ou bénéficiaires d'une l'aide au retour–, mais elle remet plus généralement en cause l'efficacité de la politique d'immigration du gouvernement français.

Non content de reprendre les formules de Marine Le Pen, Claude Guéant s'en attribue également les idées. Déterminé à ancrer dans la tête des électeurs qu'il y a trop d'immigrés en France et que ceux-ci sont à l'origine de tous leurs maux, il n'hésite pas à adapter les chiffres de manière à appuyer le plus sûrement possible sa thèse. Mais, au même titre que sa politique de durcissement des conditions de circulation a des effets pervers sur le nombre d'étrangers en France et leur durée de séjour, son glissement sans limite à droite rapportera bien moins sûrement des votes à son parti qu'à celui qu'il se plaît à imiter.

 

(1) Voir l'Audition à l'Assemblée nationale, 9 septembre 2010.

Source TERRA : http://blogs.mediapart.fr/edition/immigration-la-contre-expertise/article/071211/les-mauvais-calculs-de-claude-gueant

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 06:05

Plein droit, 90, octobre 2011  « Réfugiés clandestins »

Claire Rodier  Juriste, Gisti, Migreurop

Rodier.jpgLe choix de Plein Droit de revenir sur la question de l’asile, douze ans après un numéro intitulé « Asile(s) degré zéro » [1], est bien antérieur au cas d’école qui nous est fourni en 2011 avec l’explosion qui a secoué le sud de la Méditerranée. À portée de jumelles, pour une fois presque sous nos yeux, se déroulent des scènes qui incarnent ce que l’imaginaire veut voir des « vrais » réfugiés : exodes massifs fuyant des bombardements, entassements dans des camps de toile, organisations internationales en ordre de marche, humanitaires débordés. L’occasion de vérifier que, si le contexte a en apparence changé depuis 1999, avec l’adoption par l’Union européenne d’une série de normes législatives supposées organiser, à court terme, un régime d’asile européen commun, l’Europe n’est ni plus accueillante ni plus généreuse qu’alors avec les réfugiés. À l’instar du monde riche en général, qui préfère gérer à distance les indésirables, en les cantonnant, comme le rappelle Michel Agier (cf. p. 21), dans des « hors-lieux » afin de préserver une injuste « paix humanitaire ».

De fait, rarement comme en ce début d’année 2011, dans l’histoire récente de la gestion par l’Europe de la question des réfugiés, on n’aura assisté à une telle démonstration de cynisme. Tout en se félicitant des « bouleversements porteurs d’espoir » qui se sont produits dans le voisinage méridional de l’Union européenne, et en saluant le « courage des citoyens de cette région » [2] prenant en main leur destin pour rejeter l’oppression et la dictature, les gouvernements de l’UE se sont empressés de décourager celles et ceux qui, parmi ces « héros », auraient pu vouloir approcher de trop près le phare de la démocratie. Les jeunes Tunisiens qui ont pris la mer pour rejoindre l’île italienne de Lampedusa dans les semaines ayant suivi la révolution en ont fait l’amère expérience [3]. Mais c’est surtout à l’égard des personnes fuyant le conflit en Libye que s’est illustrée, grandeur nature, l’hypocrisie d’une Europe qui empile déclarations et textes en faveur de la protection des réfugiées et des réfugiés mais détourne le regard et ferme ses portes lorsqu’il s’agit de les mettre en application.

Les Subsahariens doublement réfugiés, doublement rejetés

En Libye, l’exode a débuté dès la fin février, lorsque le gouvernement a commencé à réprimer par la force les manifestations de rue qui, à l’instar de ce qui s’était passé en Tunisie et en Égypte, menaçaient le régime de Muammar Kadhafi. En quelques jours, des dizaines de milliers d’étrangers ont cherché à quitter le pays. Pour certains, ce fut vite fait : les gouvernements de tous les pays industrialisés qui avaient des intérêts en Libye ont su organiser sans délai l’évacuation de leurs expatriés par voie aérienne. D’autres, originaires du Bangladesh, du Ghana, du Maroc, d’Égypte, du Mali et d’autres pays qui fournissaient en masse de la main-d’oeuvre immigrée à Tripoli ont pris la route de la Tunisie (début mars, 100 000 personnes avaient franchi la frontière) avant d’être rapatriés, parfois par l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Mais pour une troisième catégorie, aucun retour n’était envisageable : ayant fui depuis plusieurs mois ou plusieurs années le Darfour, l’Érythrée, la Somalie, l’Éthiopie, l’Irak, la Côte d’Ivoire et d’autres pays en guerre, ils se sont trouvés comme pris dans une nasse dans une Libye devenue dangereuse pour eux. Parce que le colonel Kadhafi s’est constitué de longue date une armée de mercenaires africains, les nombreux Subsahariens travaillant dans le pays, soupçonnés d’appartenir à cette milice redoutée, ont été la cible d’agressions qui ont contraint un bon nombre à rester terrés chez eux. Ceux qui ont réussi à fuir n’ont pas toujours été accueillis à bras ouverts à la frontière tunisienne. Mieux, pourtant, qu’en Égypte où, en général, on ne les a pas laissés entrer. Pour la plupart, ces « doubles réfugiés » se trouvaient encore dans des camps surpeuplés au sud de la Tunisie au début de l’été.

La situation n’a fait que s’aggraver lorsqu’en application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, les avions de la coalition internationale ont commencé à bombarder Tripoli, à la mi-mars. Des Libyens ont à leur tour rejoint les cohortes d’exilés en partance. Selon l’OIM, près de 346 000 personnes avaient quitté la Libye à la fin mars, pas loin du double fin juillet. Si la majorité a été accueillie en Tunisie, trois pays parmi les plus pauvres de la planète, le Soudan, le Tchad et le Niger, ont également fait face, par milliers, aux arrivées de réfugiés.

Et l’Europe ? Après force tergiversations, la Belgique a accepté, dans le cadre d’un programme de réinstallation conclu avec le HCR, de prendre en charge 25 Érythréens et Congolais parmi les 6 000 personnes se trouvant encore au mois de juillet au camp de Choucha, en Tunisie. Six autres pays de l’UE ont, de leur côté, fait des offres d’accueil pour un total de 238 places [4]. En réalité, le nombre de réfugiés effectivement arrivés en Europe est bien supérieur : de l’ordre de 21 000 ont gagné les côtes italiennes depuis la Libye, et près de 1 500 l’île de Malte. Mais on ne peut, les concernant, parler d’« accueil », car ces réfugiés ont débarqué sans autorisation dans les deux pays, à l’issue d’une traversée pénible et souvent périlleuse, et malgré les dispositifs dissuasifs mis en travers de leur chemin. Encore ces rescapés ont-ils la chance d’avoir la vie sauve. Si une des premières mesures prises par l’UE pour accompagner le « printemps arabe » fut le déploiement des navires de l’agence Frontex pour surveiller les côtes tunisienne et libyenne, ce n’était visiblement pas pour prévenir les naufrages : d’après le HCR, 2 000 personnes se sont noyées en Méditerranée entre février et juin 2011 en tentant de rejoindre l’Europe. Le décalage entre les 250 places de réinstallation offertes par les Européens et les milliers de réfugiés entassés dans des conditions dramatiques dans les camps de Tunisie [5] et bloqués à la frontière égyptienne [6] serait risible s’il n’était pas tragique, et surtout symptomatique de la façon dont l’UE bafoue ses propres principes, et les lois dont elle s’est dotée en matière d’asile depuis la fin des années 1990.

Déjà en 1999, les Kosovars

Car si elle est caricaturale, l’attitude de l’Europe face aux réfugiés de Libye n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en 1999, quand, à la suite de l’intervention de l’Otan dans les Balkans, l’opinion occidentale assista à l’exode massif des Albanais du Kosovo fuyant l’épuration ethnique vers des camps de réfugiés installés à la hâte dans les pays les plus proches (Albanie, Monténégro, Macédoine). Difficile de ne pas établir de parallèle entre les propos du premier ministre français de l’époque – Lionel Jospin – expliquant, pour justifier le refus de son gouvernement d’accueillir en nombre les Albanais du Kosovo, qu’il ne fallait pas donner l’impression d’accepter « le fait accompli des déportations perpétrées par les Serbes » et qu’il était bien préférable qu’ils restent dans les pays limitrophes, et ceux du pouvoir actuel face à la crise libyenne. En réponse à la commissaire européenne Cecilia Malström qui a lancé, en avril, un appel à la solidarité des Vingt-Sept pour réinstaller dans l’UE des Érythréens et Soudanais, le président de la République française indiquait que cette solution n’était pas pertinente, car « il y a tout lieu de penser que, par l’effet d’appel qu’elle comporte nécessairement, [la réinstallation] serait en fait de nature à aggraver la situation ». Quant à son ministre de l’intérieur, il se dit favorable à « des solutions régionales de protection » en Tunisie et en Égypte afin de « permettre à moyen terme de créer les conditions d’accueil » dans ces pays [7].

 

Pour retrouver la suite Réfugiés clandestins

 [1] Plein Droit n° 44, décembre 1999.

[2] Déclaration du Conseil européen sur la situation en Méditerranée, 11 mars 2011.

[3] voir l’édito de Plein droit n° 89, « Pacte de solidarité ? », juin 2011.

[4] Ce n’est pas le cas de la France, qui invoque notamment la saturation de ses capacités d’accueil.

[5] Cimade, Gadem, Défis aux frontières de la Tunisie, rapport de mission, mai 2011.

[6] FIDH, Fuite en Égypte des exilés de Libye : « Double drame pour les Africains subsahariens », rapport de mission, juin 2011.

[7] Amnesty International France, « La France dit non aux réfugiés de Libye ! », communiqué de presse 22 juin 2011.

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 05:56

par Karen Akoka Doctorante, laboratoire Migrinter, université de Poitiers

karen-adoka.jpgL’idée selon laquelle les étrangers qui sollicitaient l’asile jusqu’au milieu des années soixante-dix étaient de « vrais » réfugiés, à la différence des demandeurs d’asile d’après la fermeture des frontières à l’immigration de travail en 1974, est aujourd’hui largement répandue. Contre cette idée d’un « détournement » de la procédure d’asile par les demandeurs, d’autres défendent, au contraire, celle d’un détournement de la convention de Genève par les institutions. Dans un cas comme dans l’autre, c’est faire l’impasse sur la nature éminemment construite de la qualité de réfugié et éminemment politique de la convention.


Qui de la demande d’asile ou de la réponse institutionnelle aux demandeurs d’asile, plus restrictive que par le passé, serait devenue « mauvaise » ? Des voix s’élèvent pour attirer l’attention sur la mauvaise application de la convention par les institutions ou son détournement par les demandeurs, mais aussi sur sa désuétude. Adaptée aux réalités du monde de la Guerre froide, elle ne le serait plus aux nouvelles situations dans lesquelles se trouvent la plupart des demandeurs d’asile qui fuient davantage des conflits ethniques et généralisés, qu’une menace personnelle de persécution. Dans cette dernière perspective, il s’agirait non plus de dissuader les « faux » de demander l’asile par une procédure plus sévère, ni de transformer les pratiques des institutions chargées de dire qui est réfugié, mais de revenir sur le texte même de la convention pour l’adapter au monde d’aujourd’hui, ou encore pour l’abroger.

Ces différents positionnements, apparemment opposés, ont comme point commun de considérer la période des années cinquante à soixante-dix comme celle d’un temps où auraient coexisté « vrais » réfugiés et réponse institutionnelle « juste ». Cette vision d’une demande et d’une réponse alors « bonnes » fait l’impasse sur la nature éminemment construite de la qualité de réfugié et éminemment politique de la convention. Or il n’y a pas de réfugié « naturel », auquel correspondraient ou non les candidats à l’asile, de la même manière que la convention ne peut être considérée comme un texte neutre qui serait applicable de façon objective si tant est que les institutions chargées de le faire soient indépendantes.

La catégorie de réfugié telle qu’instituée par la convention de Genève met la persécution au coeur de la définition. Ce critère qui semble aujourd’hui aller de soi, reflète, comme le montre Jacqueline Bhabha, la victoire des conceptions occidentales sur celles des états socialistes au moment de l’élaboration de la convention de Genève [1].

En effet, pour les puissances occidentales le problème à résoudre et qui sous-tend l’élaboration d’un régime des réfugiés est celui de la violence politique. La définition du réfugié comme persécuté permet ainsi de défendre la liberté politique des citoyens contre les gouvernements tyranniques et injustes. Elle reflète en cela une conception idéologique héritée des Lumières qui promeut l’ordre libéral et démocratique et néglige les injustices socio-économiques.

Pour les États socialistes, le problème à résoudre est justement celui des inégalités socio-économiques. La définition du réfugié qu’ils défendent doit permettre de protéger les droits économiques et sociaux des citoyens, tel que l’accès à l’emploi, au logement, aux soins et à l’alimentation dans la droite ligne de l’héritage idéologique communiste plus sensible aux droits collectifs qu’aux libertés individuelles.

La définition du réfugié comme persécuté retenue dans la convention de Genève constitue ainsi une norme juridique qui garantie aux dissidents soviétiques d’obtenir une protection internationale tout en excluant la vulnérabilité occidentale dans le domaine des droits économiques et sociaux [2]. Si la conception des États socialistes l’avait emporté la catégorie légitime du « réfugié de la faim » se serait imposée devant celle illégitime du « migrant politique ».

Persécution personnelle versus collective

La catégorie de réfugié et la convention de Genève sont aussi suffisamment floues pour être interprétées différemment en fonction des intérêts politiques et économiques du moment. Ainsi, la convention de Genève parle-t-elle de « crainte raisonnable de persécution » mais ne précise pas que cette dernière doit être personnelle. C’est de l’interprétation de la convention par la plupart des démocraties occidentales que cette exigence découle.

Un bref retour sur l’application de la convention de Genève par l’Ofpra durant la période des années cinquante à soixante-dix, montre que cette exigence d’une persécution personnalisée à laquelle doivent se plier presque tous les demandeurs d’asile aujourd’hui, était loin de s’appliquer aussi systématiquement à ceux d’hier.

Le réfugié dit « de l’Est » constitue la figure par excellence du vrai réfugié politique à l’aune duquel on compare bien souvent les demandeurs d’asile d’aujourd’hui pour les disqualifier. Or les rapports d’activité de l’Ofpra sont, jusqu’au début des années soixante-dix, remplis de termes tels que « tolérance », « bienveillance », « interprétation large » au sujet de l’attitude à adopter face aux ressortissants « des démocraties populaires des pays de l’Est » [3].

Si l’Ofpra estime que les difficultés d’adaptation au régime communiste constituent une raison légitime de fuir pour les générations ayant connu d’autres régimes, il s’interroge quant à la pertinence de ce critère pour les « nouvelles générations ». Mais après avoir convenu que « les générations nouvelles qui n’ont pas vécu sous les régimes antérieurs ont moins de raisons de se soustraire aux rigueurs de celui qu’elles ont toujours connu » (rapport d’activité de 1970) et que leurs motivations étaient davantage économiques que politiques (rapports d’activité de 1971), l’Ofpra choisit de continuer à leur accorder le statut, comme l’indique cet extrait : « Les motivations politiques sont rares, presque toujours incertaines et peu claires : le fait d’avoir une vive discussion avec un supérieur qui menace de sanctions pour n’être pas un ‘‘bon citoyen’’ est généralement invoqué comme un motif politique. Il convient d’en débattre mais l’office interprétait largement les critères d’admission et prenant en considération le fait que dans beaucoup de cas, les passeports ne sont plus en règle ou qu’ils n’existent pas, reconnaît la qualité de réfugié afin d’éviter à ces émigrants de se trouver dans une situation inconfortable. Certainement qu’une politique plus rigoureuse sans être pour autant injustifiée ni injuste ferait obstacle dans la majeure partie des cas, à cette reconnaissance. La qualification professionnelle de ces jeunes réfugiés n’a pas, bien souvent, un grand intérêt. Sans vouloir pour autant prendre en considération ce critère, on peut être amené à se demander si la tolérance de l’office est en fin de compte une bonne chose pour les réfugiés eux-mêmes et pour l’État. Tant que leur nombre sera d’une faible ampleur par rapport à celle de l’émigration de la main-d’oeuvre étrangère, il n’y a qu’un moindre mal. [4] »

C’est parce qu’ils sont les preuves vivantes de la supériorité du libéralisme et du capitalisme occidental sur l’idéologie et le système communiste que le statut de réfugié est accordé aussi largement à ces Soviétiques, Hongrois, Tchécoslovaques ou Polonais. Et si leur image de dissident politique est soigneusement entretenue, la logique d’instruction de leur demande n’en est pas moins largement basée sur leur appartenance nationale.

Parmi les réfugiés dits de l’Est, les exilés hongrois de 1956 constituent un cas de figure exemplaire. Ils ont non seulement été accueillis et aidés financièrement dès leur arrivée en France, mais la qualité de réfugié leur a été octroyée de manière quasi automatique par l’Ofpra. Or les travaux de Stéphane Dufoix [5] ont montré que, dans le cas hongrois, « la cause politique de départ n’est absolument pas prouvable, voire totalement infondée au regard du texte de la Convention de Genève ». La grande majorité des réfugiés hongrois aurait ainsi simplement profité de l’ouverture des frontières pendant l’insurrection pour quitter le pays après l’écrasement des espoirs d’indépendance. Néanmoins pour le gouvernement anticommuniste de Guy Mollet, leur accorder le statut a plusieurs intérêts : renforcer la dissidence du régime communiste hongrois dans l’espoir de le faire tomber, le délégitimer en mettant en évidence son caractère totalitaire et enfin détourner l’attention internationale de l’intervention franco-britannique de novembre 1956 à Suez.

Dans la mémoire collective, les réfugiés espagnols apparaissent comme des héros politiques, de la résistance au franquisme. Or, nombre d’entre eux ont obtenu le statut de réfugié sans être personnellement persécutés. L’attribution du statut dépend pour beaucoup de deux autres éléments : l’année de leur entrée en France et leur reconnaissance préalable comme réfugié par l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), organisme précédant l’Ofpra, dont le critère d’inclusion n’était pas la persécution individuelle mais l’appartenance au groupe des républicains espagnols. La convention de Genève stipulant « est réfugiée toute personne déjà reconnue réfugiée par des accords internationaux antérieurs », ils sont reconnus par l’Ofpra.

Quant à l’importance de l’année d’entrée en France, la recherche d’Aline Angousture [6] montre que l’Ofpra accorde quasi automatiquement le statut à tous les Espagnols arrivés entre 1936 et 1939 qu’ils aient été, ou non, reconnus réfugiés par l’OIR, même lorsqu’ils font leur première demande d’asile dans les années soixante-dix. Pourtant l’exode espagnol de 1936 est essentiellement constitué de civils qui fuient les zones de combat puis l’avancée des troupes franquistes victorieuses à l’issue de la guerre [7]. L’octroi automatique du statut de réfugié aux Espagnols entrés en France entre 1936 et 1939 qui n’ont pas été préalablement reconnus par l’OIR (en général parce qu’ils ne l’ont pas demandé) implique donc que la fuite de la guerre civile espagnole constitue pour l’Ofpra un critère d’attribution du statut de réfugié. Critère appliqué à un nombre d’individus loin d’être marginal puisque les Espagnols arrivés en France entre 1936 et 1939 constituent 85 % du groupe des réfugiés espagnols, lui-même le groupe national le plus important au sein de l’Ofpra jusque dans les années soixante-dix.

La conjoncture économique joue un rôle important : les réfugiés espagnols, comme hongrois, ne représentent pas une menace en période de pénurie de main-d’oeuvre.

Sélection politique

Les « réfugiés du Sud-Est asiatique » constituent une autre des figures du réfugié par excellence qui irrigue encore l’image de ce qu’est un « vrai » réfugié aujourd’hui. Soutenus par les intellectuels les plus en vogue et par l’opinion publique, acheminés dans des proportions jamais égalées ni par le passé, ni dans l’avenir, reconnus presque automatiquement par l’Ofpra, bénéficiaires exclusifs d’un dispositif d’accueil comprenant hébergement, aides financières et assistance sociale, ce sont des réfugiés au-dessus de tout soupçon. Pourtant l’analyse détaillée des modalités d’accueil et d’attribution du statut à cette population éclaire d’un autre jour ces représentations.

L’acheminement en France des ressortissants du Sud-Est asiatique se fait principalement sur la base de quotas mensuels prédéterminés dans le cadre d’une politique nationale mise en place entre 1979 et 1984. Ils sont généralement sélectionnés dans les camps de réfugiés de Thaïlande, selon des critères qui ont peu à voir avec ceux de la convention de Genève : services rendus à l’administration française, à l’armée française, au gouvernement français, connaissance de la langue française, famille en France, qualification professionnelle et durée du séjour dans les camps [8]. Malgré cela, le statut de réfugié leur est attribué presque automatiquement comme l’attestent les taux d’accords très élevés de l’Ofpra, proches de 100 % certaines années, et les rapports d’activité qui font état d’une procédure simplifiée, dans bien des cas sans entretien [9].

Les raisons qui expliquent ce large accueil et l’octroi presque inconditionnel du statut sont nombreuses. Sous couvert de sentiment de responsabilité envers l’ancien Empire colonial – qui ne s’applique cependant pas à la même période aux anciennes possessions africaines – il s’agit de discréditer le nouveau régime indochinois, communiste et vainqueur de la guerre de décolonisation, mais pas uniquement. L’arrivée massive de ceux qu’on appelle des « boat people » comporte aussi des avantages électoraux, comme l’indique la mise en place d’une politique de naturalisation à l’égard de cette population qu’on espère suffisamment anticommuniste et reconnaissante envers le gouvernement qui l’a accueillie pour voter pour lui [10]. Du fait de sa jeunesse, elle est également perçue comme susceptible de compenser le vieillissement prévisible de la population française en lieu et place des immigrés venant d’Algérie et d’Afrique noire [11]. Enfin, leur bas niveau de qualification ainsi que leur réputation de bons travailleurs, dociles et hors de la sphère d’influence des syndicats, font qu’ils sont envisagés comme une main-d’oeuvre de remplacement dans un double contexte : suspension de l’immigration de travail alors qu’un certain nombre d’entreprises industrielles ne sont pas encore touchées par la crise et volonté de remplacer (notamment dans l’industrie automobile) les ouvriers – souvent maghrébins – considérés comme trop politisés et que devait éloigner la politique d’incitation au retour [12].

Dans ce contexte, il convient pour les pouvoirs publics, et pour l’Ofpra, de fermer les yeux sur les raisons invoquées à l’appui des demandes d’asile, plus ou moins éloignées de l’exigence de crainte personnelle de persécution et où s’entremêlent – comme chez la majorité des exilés – économie, politique, crainte de la guerre et appréhension du régime au pouvoir. L’Ofpra ferme aussi les yeux sur les fausses déclarations et les faux documents : « L’Ofpra a été submergé de faux documents, de fausses déclarations, certificats douteux, d’interventions, de pressions. Et par la force des choses il a été contraint de sortir de son rôle et d’appliquer aux rescapés de l’ancienne Indochine des critères plus souples qu’aux étrangers venant d’autres régions du monde. [13] »

Ce type de commentaire se retrouve dans tous les rapports d’activité de l’Ofpra de 1975 à 1980. Ces derniers étant alors des documents confidentiels, l’information ne sera jamais divulguée. Une tentative de fraude massive (1 200 certificats de décès venus du 13e arrondissement) sera même étouffée [14]. Une situation qui contraste avec la large médiatisation dont feront l’objet, à peine quelques années plus tard, les célèbres fraudes des Zaïrois. Les arguments utilisés, notamment par Pierre Basdevant, directeur général de l’Ofpra de l’époque, pour expliquer les pratiques des réfugiés du Sud-Est asiatique ne seront jamais appliqués aux ressortissants africains dans la même situation : « Les réfugiés ont beaucoup de peine à s’habituer aux rigueurs de l’état civil français qui s’imposent à eux pour les multiples démarches administratives auxquelles ils sont astreints, car les notions de filiation, de dates de naissance, de mariage, d’adoption étaient beaucoup plus floues ou flexibles dans leur pays d’origine qu’elles ne le sont en France. [15] »

Soixante ans plus tard, la brochure publiée par l’Ofpra [16] sur l’histoire de l’organisme depuis sa création jusqu’à nos jours, garde le silence sur le dossier des « faux » Indochinois alors qu’elle consacre un paragraphe à ce qu’elle appelle les « premières fraudes de grande ampleur émanant des demandeurs africains », qui lui sont pourtant postérieures [17].

L’introuvable réfugié politique individuellement persécuté

Intérêts et volonté politique, considérations diplomatiques, besoin de main-d’oeuvre, stratégies électorales, pressions de l’opinion publique, préférences ethniques et professionnelles basées sur des préjugés raciaux ou sociaux, constituent la toile de fond qui explique le fort taux d’accord au statut de réfugié des années cinquante à soixante-dix. Contrairement à l’image qu’a laissée la période, les dissidents politiques et les personnes personnellement visées sont moins nombreux que celles qui ont fui un conflit généralisé, un régime qu’elles exècrent où un système politique ou économique dans lequel elles refusent de vivre. Mais la large médiatisation des fuites de personnalités en vue et de leur accueil triomphal dans le monde dit libre a contribué à amplifier l’importance des premiers au détriment des seconds dans la mémoire collective.

Avec le temps, les causes qui auront conduit la grande majorité de ces réfugiés reconnus à chercher asile en France seront peu à peu oubliées pour devenir illégitimes. L’image du réfugié militant politique personnellement recherché, revisitée, glorifiée, mais largement éloignée de la réalité de ce que fut la demande d’asile des années cinquante à soixante-dix, a peu à peu dessiné en creux celle du faux demandeur d’asile d’aujourd’hui, congolais, malien ou chinois, suspecté de fuir au mieux un conflit généralisé, au pire la misère.

Entre violences collectives et violences économiques, la situation de la majorité des demandeurs d’asile d’aujourd’hui est largement en décalage avec la figure archétypale du réfugié politique personnellement recherché. D’où les très bas taux d’accord du statut de réfugié. Dans ce contexte l’asile sert aujourd’hui moins à protéger une poignée d’individus plus ou moins éloignés de la fiction du réfugié selon l’imaginaire libéral occidental, qu’à légitimer une politique d’immigration de plus en plus restrictive en lui servant de caution humaniste.


Notes

[1] Jacqueline Bhabha. « Embodied Rights : Gender Persecution, State Sovereignty, and Refugees », Public Culture, 9 (1), 1996.

[2] Ibid.

[3] Excepté le cas yougoslave qui nécessite un développement à part.

[4] Rapport d’activité de l’Ofpra pour l’année 1971.

[5] Stéphane Dufoix, Politiques d’exil. Hongrois, Polonais et Tchécoslovaques en France après 1945, PUF, 2002.

[6] Aline Angousture « Les réfugiés espagnols en France de 1945 à 1981 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, Vol 44-3, septembre 1997

[7] Geneviève Dreyfus-Armand, « L’accueil des républicains espagnols en France : entre exclusion et utilisation, 1936-1940 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 44, 1996.

[8] Jean-Pierre Masse, L’exception indochinoise. Le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973-1991, doctorat de sociologie historique, EHESS, 1996.

[9] Rapport d’activité de l’Ofpra pour l’année 1981. Les taux d’accord varient entre 90 et 100 % durant la période 1975-1984.

[10] Jean-Pierre Masse, op. cit.

[11] Ibid.

[12] Michelle Guillon, « Les Asiatiques en France », Migrants-Formation, n° 101, 1995.

[13] Rapport d’activité de l’Ofpra pour l’année 1978.

[14] Entretien avec un agent de l’Ofpra mené par la mission Histoire et Archives de l’Ofpra (Archives départementales du Val de Marne, BDIC, Ofpra).

[15] Lettre de M. Basdevant à Michel Barbier, secrétaire général du CNE, cité dans la thèse de Jean-Pierre Masse, op. cit.

[16] De la Grande guerre aux guerres sans nom. Une histoire de l’Ofpra. Paris, Ofpra, 2009.

[17] Rapport d’activité de l’Ofpra pour l’année 1981.

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 17:41

mur2.jpgpar Clotilde de Gastines, Claude Emmanuel Triomphe - 24 Septembre 2011

Extraits.

Pour retrouver l’article intégral http://www.metiseurope.eu/limiter-les-migrations-du-travail-ne-prot-ge-pas-la-main-d-oeliguvre-nationale_fr_70_art_29210.html

 

3 744 salariés migrants sont arrivés en France en 2009. On est loin des 200 000 annoncés par le gouvernement. Pour Francine Blanche, membre de la commission exécutive de la CGT et chargée des luttes contre les discriminations, le débat sur l'ouverture de listes de métiers occulte le vrai sujet : comment régulariser les salariés migrants, qui sont déjà en France depuis plusieurs années. Elle décortique les chiffres et les récentes dispositions.

Le discours politique actuel est très négatif voire alarmiste sur les migrations du travail en France. Comment se déroulent les concertations de la CGT avec le gouvernement sur ces questions ?
Depuis le début du mouvement des travailleurs sans papiers en 2008, nous voyons régulièrement le gouvernement sur ces questions. A partir du 12 octobre 2009, 6804 salariés se sont mobilisés. Déjà 2500 ont été ou sont en phase de régularisation sur la base d'une liste de 85 métiers, qui est encore en vigueur pour eux.

À l'extérieur de ces réunions, l'affichage à ambition électoraliste fausse le débat. La question des migrations est un sujet sensible, qu'on ne peut traiter de façon idéologique. Les annonces à répétition trahissent une vision politique étriquée, qui va à l'encontre d'un marché du travail qui se voudrait régulé et équitable pour chacun(e).

 

Combien de sans papiers travaillent en France environ ? Comment sont-ils impactés par la crise et la politique migratoire restrictive de ces dernières années ?
D'une façon générale, la crise économique a affecté les besoins de recrutement de tous les salariés. Les travailleurs étrangers « légaux » ont été particulièrement touchés. Pourquoi ? Ils sont d'abord ouvriers (un salarié immigré sur deux), intérimaires et habitent en zone urbaine. Ce sont ces salariés, immigrés ou nationaux, que la crise a le plus impactés.

Les autorités estiment à 400 000 le nombre de « sans papiers » en France. La très grande majorité d'entre eux travaillent « d'une façon ou d'une autre » et cela, malgré la crise.

Selon notre expérience, la plus grande sanction qu'on puisse faire à un employeur qui exploite sciemment des travailleurs sans papiers n'est de pas de fermer son entreprise. Lui ou d'autres la rouvriront sous un autre nom 20 mètres plus loin, avec ces salariés ou d'autres toujours « sans papiers ». Il faut l'obliger à régulariser ses salariés et à les déclarer selon les normes sociales en vigueur. La répression telle qu'elle est menée actuellement est inefficace, injuste envers les salariés et favorise le travail illégal. Et, ce n'est pas faute de légiférer : 48 lois sur le travail au noir depuis 2000 !

 

En début d'année, la polémique a enflé autour de la proposition de Claude Guéant le ministre de l'intérieur de faire baisser l'immigration de 20 000 personnes. Quels sont les vrais chiffres de l'immigration et la part des migrants du travail ?
Le Ministère de l'Intérieur publie ces chiffres en interne mais peine à les afficher : Un peu moins de 200 000 migrants au total obtiennent un premier titre de séjour par an (NB : un chiffre stable). Environ 100 000 repartent. D'après la dernière enquête ELIPA (Enquête Longitudinale sur l'Intégration des Primo-Arrivants), les « nouveaux migrants à titre permanent » en 2009 sont au nombre de 97 736. Ils sont comptabilisés à l'unité près, car ils passent une visite médicale avant la remise de leur carte de séjour et signent pour la plupart un CAI (Contrat d'Accueil et d'intégration).

En fait, le tiers de ces migrants est déjà là et régularise sa situation : plus de la moitié de ces « régularisés » sont déjà en France depuis au moins 2 ans. Les migrants salariés, qui étaient 20 000 à recevoir une première « carte de séjour salarié » en 2009 étaient là en moyenne depuis déjà 8 ans. Seuls 3744 arrivaient. Bien sûr le mouvement des travailleurs sans papiers a accentué cette tendance.

La question n'est donc pas d'accueillir de « nouveaux salariés qui pèseraient sur le marché du travail » (comme le dit la loi du 25 mai 2008 !), mais de faire en sorte que les salariés qui bossent déjà ici voient enfin leur situation reconnue et pour beaucoup, améliorée, à égalité de traitement avec les salariés nationaux. Nous ne voulons pas que des salariés soient obligés de travailler "d'une façon ou d'une autre". C'est mauvais pour eux et pour tous. Ceux qui ne cotisent pas ne demandent qu'à cotiser.

Le ministère de l'Intérieur connaît tout cela. Ces chiffres sont tirés des rapports remis à l'OCDE tous les ans (SOPEMI) et des enquêtes qu'il diligente (ELIPA).


Le principe de protection de la main d'œuvre nationale qui restreint l'accès à quelques métiers, est-il valable ou aberrant ?
On ne protège pas la main d'œuvre nationale en limitant l'accès au marché du travail. Ça ne marche pas. Les syndicalistes le disent. Les employeurs le savent. On est dans un monde aux frontières perméables. Les salariés circulent quels que soient les obstacles et les risques, d'autant plus s'ils n'ont pas de perspectives d'avenir dans leur propre pays.

 

Repères :
Enquête ELIPA, Les nouveaux migrants en 2009 Téléchargez Infos migrations n° 19
Rapport du SOPEMI pour la France
, novembre 2010 : http://www.immigration.gouv.fr/IMG/pdf/SOPEMI_2010.pdf

Documentation Metis : Migrations et mondialisation

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 06:03

Par Delphine Perrin

http://www.touteleurope.eu/fr/actions/citoyennete-justice/schengen/analyses-et-opinions/analyses-vue-detaillee/afficher/fiche/5440/t/43872/from/2271/breve/delphine-perrin-la-politique-europeenne-de-migration-et-dasile-est-irresponsable.html?cHash=14f3151377

 

Vendredi 16 septembre, la Commission européenne doit présenter son projet de réforme de l'espace Schengen. Contrairement à la demande de la France, elle souhaite limiter la possibilité de réintroduire des contrôles temporaires aux frontières en cas d'immigration massive. D'un autre côté, constate Delphine Perrin, chercheuse à l'Institut universitaire européen de Florence, l'Union européenne a géré les conséquences migratoires des révoltes arabes avec un réel cynisme, en contradiction avec le droit européen. Bilan et perspectives de la politique commune de l'immigration et de l'asile.


Touteleurope.eu : Comment le système migratoire et d'asile européen a-t-il géré les conséquences des révoltes arabes ?

Delphine Perrin est chercheuse auprès du Migration Policy Centre à l'Institut universitaire européen de Florence, spécialiste du droit et des politiques de l’immigration et de l’asile dans l’espace euro-africain.

Delphine Perrin :
La réponse de l'Union européenne est loin d'avoir été satisfaisante, surtout en matière d'asile. On peut regretter que l'ensemble des révoltes arabes et les crises, en particulier en Libye, n'aient pas fourni l'occasion aux Etats européens de montrer leur engagement en matière d'asile et de politique commune.

Le droit d'asile commun existant devrait être respecté. Or nombre de droits fondamentaux ont été violés ces derniers mois par des pays européens, en particulier le principe de non-refoulement. Les dysfonctionnements inhérents aux règles actuelles, notamment le système de Dublin qui sous-tend la sur-responsabilisation des pays du Sud de l’Europe, ont été dévoilés au grand jour et aucune réponse n'y a été apportée autrement qu’en renforçant les frontières extérieures et intérieures.

La directive instituant un mécanisme de protection temporaire a été adoptée en 2001. Elle tire les enseignements de la guerre au Kosovo, au cours de laquelle des populations se sont déplacées en masse sur le continent européen. Elle vise à permettre aux populations quittant un pays en guerre d'être considérées comme des réfugiés, auxquels on apporte une protection temporaire donc moindre que celle prévue par la convention de Genève de 1951 basée sur un examen individuel des demandes d'asile. Elle implique également une répartition de la charge entre les Etats membres de l’UE.

On peut déplorer également que la protection temporaire, qui a été élaborée en 2001 juste après la guerre au Kosovo, n'ait jamais été activée, alors que nous avions une occasion unique de montrer à quoi elle servait. Celle-ci permettait justement une réponse rapide et collective, initiée par la Commission. Et la guerre en Libye offrait justement toutes les conditions pour que cette protection soit activée. La Tunisie et l'Egypte ont été surchargées de personnes qui ont fui la Libye, il aurait été normale que l'Europe participe, territorialement et non pas seulement financièrement, à la protection des réfugiés. Or la Commission, qui par ailleurs dispose désormais d'un droit d'initiative en matière d'asile, n'a pas activé cette protection, malgré les recommandations du Parlement européen et du Haut Commissariat des nations unies pour les réfugiés.

Pour quel résultat ? On a laissé les individus fuir seuls la Libye, sur des embarcations à bord desquelles ils ont risqué leur vie, ils ont été refoulés en mer ou non sauvés par les navires européens et de l'OTAN (contre qui le Gisti a d'ailleurs menacé de déposer une plainte). On assiste également à une désolidarisation vis-à-vis des pays du Sud de l'Europe : Italie, Malte… qui du coup se sentent injustement surchargés d'un accueil de réfugiés destinés à l'ensemble de l'UE.

On peut regretter, enfin, le manque d’engagement des pays européens en matière de réinstallation des réfugiés ayant trouvé un "premier asile" dans les pays du pourtour de la Libye sans perspective de pouvoir y rester.

Touteleurope.eu : Pouvait-on s'attendre à une telle réaction des Etats ?

D.P. : On pouvait s'y attendre, mais il est important de ne pas s'habituer au cynisme européen et au total manque de solidarité vis-à-vis du Sud de la Méditerranée. Au contraire, réclamons des institutions européennes qu'elles aillent à l'encontre des replis populistes des Etats membres. Presque tous les Etats européens utilisent aujourd'hui cette supposée pression de l'étranger à des fins politiciennes. A quoi bon des institutions européennes si elles ne font que les suivre, et sont incapables de rappeler l'existence du droit communautaire ?

La Commission est dans une situation difficile, on ne peut pas le nier : même si elle avait initié la protection temporaire, les Etats membres auraient certainement refusé de la valider. Mais pourquoi est-elle à ce point incapable de rappeler les pays membres à leurs obligations ? Vis-à-vis de toutes les violations du droit d'asile, et notamment de l'interdiction fondamentale de refouler des individus vers des pays en guerre où ils risquent leur vie, la Commission a fait également preuve d'un silence assourdissant, et ça ne date pas des révoltes arabes.

Il y a eu aussi des déclarations malheureuses de représentants européens, notamment la commissaire aux Affaires intérieures Cecilia Malmström qui a affirmé, après le début de l'insurrection en Libye, ne pas constater d'urgence en matière d'accueil de réfugiés puisqu'aucun "immigrant" n’était encore arrivé de Libye sur le continent européen ! C'est une aberration : la plupart des personnes fuyant les côtes libyennes sont des réfugiés venant de Somalie ou d'Erythrée, et par ailleurs la frontière méditerranéenne est désormais infranchissable, l'opération Frontex venant d'être renforcée pour empêcher les individus d'arriver… c'est d'un cynisme incroyable.

Touteleurope.eu : Quelles leçons l'Union européenne a-t-elle tiré de cette crise ?

D. P. : Malheureusement, je crois qu'elle n'en a tirée aucune. Il y aurait pourtant de quoi réfléchir, mais nous sommes actuellement confrontés à deux forces contraires : d'une part la Commission européenne a entamé depuis plusieurs mois une révision de l'ensemble des directives sur le droit d'asile, afin de renforcer la protection des réfugiés à l'échelle européenne ; parallèlement, les textes récemment adoptés en réaction aux révoltes arabes prévoient un renforcement de l'externalisation de la protection des personnes en Méditerranée. Parmi les mesures à court-terme, le Conseil Justice et Affaires intérieures du 11 avril avait prévu de renforcer la coopération avec les pays nord-africains pour qu'ils préviennent les flux migratoires illégaux, qu'ils gèrent davantage leurs frontières et facilitent les retours et réadmissions. C'est ce qu'on a demandé à des pays en pleine transition, dont les régimes sont provisoires et dont les forces policières et militaires ont sans doute autre chose à faire que de contrôler les sorties vers l'Europe... Mais surtout, à quoi bon renforcer la protection sur le territoire européen si personne ne peut y accéder ?

A plus long terme, la Commission européenne veut engager de nouveaux partenariats et réviser sa politique de voisinage. On pourrait imaginer qu'elle tienne compte de la démocratisation dans les pays du Sud, or en matière migratoire c'est le contraire : elle ne veut pas simplement poursuivre mais renforcer la pression sur les pays extérieurs. Désormais on peut officiellement parler de "conditionnalité migratoire à la coopération" : il est prévu que le degré de coopération sera lié aux efforts des Etats en matière de contrôle des frontières et de gestion des personnes sur leur territoire, sans envisager la possibilité que ces Etats, susceptibles d’être davantage à l’écoute de leurs populations, se refuseront dès lors à bloquer la sortie de leurs ressortissants notamment.

Les documents de la Commission et du Conseil mentionnent également le développement des programmes régionaux de protection dans les pays du Sud, afin que la protection des réfugiés soit prise en charge de l'autre côté de la Méditerranée. Elle confirme ainsi la politique qu'elle a menée depuis les révolutions arabes, mais aussi auparavant : déresponsabilisation vis-à-vis de la protection des réfugiés et financement de cette protection dans les pays-tiers. Une orientation qui va à l'encontre d'une véritable politique européenne de l'asile et d’un partage du "fardeau" des réfugiés.

Touteleurope.eu : A la demande de la France notamment, la Commission s'apprête à publier sa proposition de réforme de l'espace Schengen. Au vu de son probable contenu, peut-on s'attendre à un bras de fer avec les Etats membres ?

D.P. : Sur ce point, on peut saluer le rôle et les efforts de la Commission européenne ces dernières semaines. Le bras de fer a déjà été engagé, la Commission a tenu bon : elle a profité de l'occasion offerte par les Etats qui souhaitaient remettre en question l'espace Schengen, pour essayer de le communautariser davantage. Elle se positionne dès lors comme une véritable institution européenne, en cohérence avec une politique migratoire et d'asile commune. Et si elle le fait, c'est qu'elle pense avoir des chances d'obtenir un accord.

La Commission européenne doit annoncer mardi 13 septembre sa proposition de réforme de l'espace Schengen. D'après le texte, les Etats pourront toujours, en cas d'événement imprévus, y compris une immigration soudaine et massive, décider de réintroduire des contrôles, mais pendant une durée cette fois limitée à cinq jours. Au-delà, ils devront faire une demande justifiée à la Commission, et cette requête sera soumise à la majorité qualifiée des Etats de l'UE.

Mais la tâche ne sera pas simple, sachant qu'un deuxième point devrait entraîner une bataille : la révision du système de Dublin, qui implique une sur-responsabilisation des pays situés aux frontières extérieures de l'UE. Sur ce point, la Commission n'a pas encore fait de proposition, même si c'est quelque chose qui est réclamé depuis longtemps : en avril, les 5 Etats du Sud ont fait une déclaration commune réitérant cette demande. Soyons optimistes : tout le monde commence à réaliser qu'une petite compensation doit désormais être offerte à ces derniers.

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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 05:55

MEDIAPART, | Par Antoine Perraud

Patrick Weil: «L'immigration n'est pas une chance, c'est un fait»

patrick-weil-historien-et-specialiste-des.jpgPatrick Weil, né en 1956, docteur en sciences politiques, directeur de recherches au Cnrs, qui enseigne outre-Atlantique (à Yale notamment), travaille sur l'immigration en France: son histoire, son présent, son devenir. Patrick Weil publie sans relâche. Par exemple, Liberté, Égalité, Discriminations. L'«identité nationale» au regard de l'histoire (Grasset, 2008), ou encore Être français, les quatre piliers de la nationalité (Ed. de l'Aube, 2011). Dans ce dernier ouvrage, qui reprend une tribune donnée au Monde l'an dernier, l'universitaire, face à la politique jugée antirépublicaine de Nicolas Sarkozy, propose une définition positive et unitaire de la citoyenneté, fondée sur ce qui relie: le principe d'égalité, la mémoire de la Révolution française, la langue française et la laïcité. Or pour l'auteur, le pouvoir actuel brise ces «produits de notre histoire» sur l'autel d'un populisme aux fantasmes épurateurs savamment entretenus.

Patrick Weil est un expert qui entend participer à l'action publique. Il a démissionné des instances de la Cité nationale de l'immigration en 2007, notamment pour protester contre la création du ministère liant immigration et identité nationale. Il a fait partie de la commission Stasi chargée de réfléchir, en 2003, sur «l'application du principe de laïcité dans la République» – le président Chirac penchait alors pour arrondir les angles, face à ceux qui jetaient de l'huile sur le feu.

En 1997, Patrick Weil avait remis un rapport sur l'immigration au ministre de l'Intérieur du gouvernement de Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement, qui entendait mener une politique «équilibrée». Depuis, Patrick Weil est à la fois en butte aux critiques de la droite, qui le considère comme laxiste en la matière, et d'une partie de la gauche, qui estime que son réalisme, prompt à dépassionner la question, recouvre une vision par trop comptable, froide et insensible des choses.

Le chercheur a sans doute subodoré un tel état d'esprit critique chez le journaliste de Mediapart venu l'interroger ; si bien qu'une légère tension domine cet entretien en trois parties: Patrick Weil entend donner quelques leçons de pragmatisme – et d'histoire – à son questionneur, peut-être perçu comme une bonne âme de passage...

 

Dans une première vidéo, à partir de François Fillon «taclant» Eva Joly en Côte d'Ivoire au sujet du 14-Juillet, Patrick Weil analyse la question de la binationalité, dont Marine Le Pen voudrait faire un cheval de bataille, avec la complicité de Thierry Mariani, député UMP membre de la Droite populaire (qui entend briguer l'une des circonscriptions créées pour les Français de l'étranger – ayant donc souvent une double nationalité...). Patrick Weil défend enfin sa conception républicaine de «l'intégration» et de «l'assimilation», en dépit d'une chaîne sémantique pour le moins piégée par les discours et les actes de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant.

Vidéo 1 : http://www.dailymotion.com/video/xk34se_patrick-weil-1-3-de-l-assimilation_news#from=embediframe&start=0

 

"On saucissonne les Français selon des caractéristiques»

Dans la deuxième vidéo, Patrick Weil accuse Nicolas Sarkozy de déstructurer l'unité de la nation. S'appuyant sur une question méconnue, les naturalisations, l'universitaire démontre comment «on saucissonne les Français selon des caractéristiques choisies par le président de la République et le ministre de l'Intérieur». Patrick Weil refuse tout angélisme sur l'immigration, qui «n'est pas un bien en soi», qui apporte à la France tout en la déstabilisant. Selon lui, il s'agit de «gérer les circulations dans un monde constitué d'États-nations».

Patrick Weil estime que nous assistons au «succès de l'intégration», par-delà toutes les rhétoriques déployées. Il fait un sort à l'expression «immigration choisie», sous-tendue par un racisme régalien opposé aux devoirs qu'impose un État démocratique. Questionné sur la loi de 1965 qui faisait passer, aux États-Unis d'Amérique, le mérite devant l'origine nationale, Patrick Weil revient sur la loi Johnson-Reed de 1924, qui établissait un système de contingentement par pays. Puis il démontre ce qui fait, selon lui, l'inanité du système des quotas. À propos de la valse-hésitation de Nicolas Sarkozy en la matière, le chercheur affirme enfin que le président de la République «ne cesse de rompre avec lui-même»...

Vidéo 2 : http://www.dailymotion.com/video/xk375v_patrick-weil-2-3-de-la-differenciation-sarkozyste_news#from=embediframe

 

Dans la troisième et dernière vidéo, avant de se livrer à un vibrant hommage aux résistances d'une société française soutenant, grâce à de multiples réseaux, les immigrés face à un sommet de l'État déchaîné comme jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, Patrick Weil revient sur ses débuts. Dès l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981 – il n'avait pas 25 ans –, le militant socialiste (au Ceres de Jean-Pierre Chevènement) Patrick Weil entre au cabinet de François Autain (l'oncle de Clémentine Autain), secrétaire d'État chargé quelques semaines de la sécurité sociale (22 mai-23 juin 1981), puis (22 juin 1981-22 mars 1983) des immigrés, sous l'égide de Nicole Questiaux, ministre d'État (puis plus d'État, puis démissionnaire en juin 1982), à qui incombait la «solidarité nationale».

[Il est par ailleurs question, au cours de l'entretien, d'André Postel-Vinay (1911-2007)]

Vidéo 3 : http://www.dailymotion.com/video/xk3abb_patrick-weil-3-3-de-1981-a-2012_news#from=embediframe

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6 juillet 2011 3 06 /07 /juillet /2011 05:53
hflautre-copie-1.jpgHélène Flautre – Députée européenne, Secrétaire-adjointe de l’association des Parlementaires pour l’Audit de la Politique d’Immigration, d’Intégration et de co-développement.
mai 2011 par Hélène Flautre
S’il fallait retenir une chose de cet audit, c’est qu’il est tout à fait possible et même extrêmement souhaitable de dessiner une autre politique d’asile et d’immigration en France et en Europe. Une politique à renouveler en profondeur donc, non seulement par générosité, par fraternité, mais également par pur réalisme, pragmatisme voire égoïsme.

Un constat simple d’abord : seule une toute petite partie de la population mondiale migre au delà des frontières de son pays d’origine. Près d’un milliard de personnes quittent leur terre pour des raisons aussi diverses que la désertification des terres, le manque d’eau, la dictature ou la guerre. Parmi elles, près de 74% rejoignent la métropole la plus proche au sein de leur pays, au plus proche donc de leur lieu de naissance. L’autre partie traverse les frontières : c’est ce phénomène à hauteur de 230 millions de personnes que désignent les migrations internationales. Et même, seulement un tiers de ces migrants traversent la frontière pour partir d’un pays dit du Sud vers un pays dit du Nord. Ni la France, ni l’Europe "n’accueillent toute la misère du monde", entendre cela est indispensable à la compréhension du phénomène migratoire et a l’élaboration d’une nouvelle politique migratoire qui s’affranchit en toute honnêteté de la récupération électoraliste d’usage.

Au delà des préjugés

Les migrants ne sont pas ceux qu’on tente de nous faire croire, et cela pour au moins deux raisons. Premièrement, ils ne sont pas originaires des pays les plus pauvres : la part de l’émigration mise en rapport a la population et au niveau de développement des pays forme une courbe en cloche. Autrement dit, les habitants d’un pays très pauvre émigrent très peu mais bien plus quand le pays commence a émerger et a se développer.

Ensuite, les plus pauvres n’ont pas les moyens de rentrer dans le système migratoire. Pour émigrer, il est indispensable d’avoir des ressources traduites en capital financier, économique, relationnel ou éducatif. Qui migre donc ? Les plus formes et relies au pays de destination. Cela signifie par exemple que le taux des personnes non diplômées arrivant en France est très proche de celui de la population française. Et j’ai pu faire ce constat sur le terrain, notamment dans la région du Nord Pas de Calais : les migrants sont souvent des personnes cultivées et formées mais rompues par un parcours absolument éprouvant.

Mais aussi, et il faut le dire, les migrations sont bénéfiques pour les problèmes domestiques lies aux équilibres des comptes sociaux, de retraite et de protection sociale. Elles ont un impact positif et d’autant plus positif que les entrées de migrants sont nombreuses. Par exemple, la contribution nette entre un natif et un immigre aux comptes publics pendant sa durée de vie est en moyenne de 2250 Є par an pour un immigre et de 1500 Є pour un natif : ce chiffre est un camouflet net aux idées toutes faites véhiculées avec vigueur par certains. Toutefois, il n’est pas ici question d’élaborer un scenario fonde sur la pure rationalité égoïste et économique qui s’attacherait a améliorer notre ratio actifs/inactifs ou encore a répondre au vieillissement de notre population. Le monde n’est pas une réserve de ressources humaines ou naturelles dans laquelle les Etats occidentaux peuvent puiser a l’envie pour gérer leurs petites affaires.

Une répression dangereuse et perverse

L’accueil républicain est ainsi aujourd’hui réduit à une mesquine tentative d’usurpation rhétorique. A l’inverse, l’idée selon laquelle "qui accueille bien réprime bien" fait office de mot d’ordre. Cette approche répressive, également développée à l’échelle communautaire, a des impacts a la fois contradictoires et négatifs. Prenons l’exemple de Frontex, l’agence européenne aux frontières extérieures de l’Union. Frontex se targuait, jusqu’aux mouvements révolutionnaires dans les pays arabes, de résultats spectaculaires dans la Méditerranée : ainsi, sur l’ile de Malte, plusieurs milliers de personnes arrivaient chaque année alors qu’a l’été 2010, plus une personne n’arrivait sur ses cotes. Sur l’ile également bien connue de Lampedusa, 25.000 personnes par an débarquaient les années précédentes puis seulement 250 après le début des opérations de l’agence et la mise en œuvre d’un "accord de refoulement italo-libyen".

Mais ces "performances" sont factices : cet acharnement à retenir les migrants à la source sous-estime leur résolution et leurs capacités d’adaptation. Les personnes qui venaient en Europe par les pays d’Afrique du Nord et le Sud de la Méditerranée revoient leurs stratégies : les routes migratoires se sont ainsi déplacées vers l’Est, créant une tension importante à la frontière turco-grecque. Les trajectoires sont rendues alors plus longues, plus dangereuses, les migrants plus vulnérables et, soulignons-le, le rôle de passeur plus lucratif.

Le droit à la mobilité, droit central du XXIe siècle

Il faut en conclure une chose assez simple. Le droit a la mobilité doit devenir la nouvelle conquête de liberté du XXIe siècle. Et le rapport de 2009 des Nations Unies sur le développement humain intitule ≪ Lever les barrières ≫ abonde en ce sens. Il démontre par tous les indicateurs de développement humain, bien plus convaincants que le PIB par habitant, qu’il y a un bénéfice partage entre les pays d’accueil et ceux d’origine à lever les barrières pour organiser, faciliter et accompagner les mobilités. Ces bénéfices réciproques sont d’autant plus élèves que les droits des personnes migrantes sont respectes. Accompagner signifie garantir les droits de ces migrants mais aussi permettre leur accueil sans se cacher derrière une "capacité d’accueil" soi-disant limitée. Il est temps d’ouvrir cette nouvelle voie : celle d’une mobilité comme réponse aux tentations d’indifférence et de fermeture qui gangrènent nos sociétés et comme ambition d’un monde de richesse et de connaissance.

Soyons par exemple à l’écoute des aspirations de démocratie et de liberté qui ont trace les révolutions arabes sur la rive Sud de la Méditerranée. L’espace euro-méditerranéen serait un excellent cadre d’expérimentation de cette politique renouvelée : cette région comme espace à partager, creuset de cultures et lieu voue aux échanges, a tout à gagner d’une telle approche. L’ouverture de voies d’entrée légale, l’accompagnement du migrant a toutes les étapes de son parcours, la reconnaissance des diplômes et des acquis, un droit au séjour sécurisé et durable, l’égalité en terme d’accès et de traitement aux droits, le développement de migrations qualifiantes, un droit au regroupement familial pleinement respecte... autant d’exemples offrant la perspective d’une politique migratoire ambitieuse, fructueuse et apaisée. Et c’est possible, audit a l’appui.

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